Le député européen et Président du mouvement « Génération Citoyens », Jean-Marie Cavada était l’invité des « Rencontres de la Fondation EDF » (le 29 juin 2016), événement animé par Olivier Poivre d’Arvor, en partenariat avec La Revue Civique. Thème : «Français ? Européens ? Citoyens !» Il en appelle à un sursaut européen, après le Brexit, et à un sursaut de participation civique en France, de nature à endiguer l’abstentionnisme et les extrémismes.
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« Viscéralement européen », en mémoire de la guerre
Jean-Marie Cavada a eu plusieurs vies. Lui qui hésitait « entre journaliste et avocat en pensant que le journalisme était inaccessible » aura été journaliste, présentateur de télévision, producteur, dirigeant de RFO, de Radio France, puis Député européen et fondateur d’un mouvement citoyen. Au-delà de ses différentes fonctions, le natif d’Epinal a tenu a rappeler qu’il était avant tout citoyen. Un citoyen engagé. Au début de l’entretien, Olivier Poivre d’Arvor soulignait que Jean-Marie Cavada était « un grand pédagogue », tout en avouant être intéressé par la troisième partie de sa vie : l’engagement en politique.
« Pourquoi avez-vous souhaité vous engager en 2004, prendre le risque de s’engager au centre et dans cette aventure européenne ? Pourquoi cette activité européenne est si importante pour vous ? » lui demande l’ancien Directeur de France Culture, devenu Ambassadeur de France en Tunisie. Un engagement politique qui fait sens et qui fait véritablement écho, lui répond Jean-Marie Cavada, à un « sentiment de précarité nationale apparu à l’adolescence ». Un sentiment européen qui n’est pas arrivé par hasard : les affres de la guerre ont fait de l’actuel député européen « quelqu’un qui se méfie de l’horizon national, entre méfiance et sentiment de précarité nationale ». Celui qui est devenu journaliste à Strasbourg, à l’âge de 25 ans, s’est peu à peu intéressé aux affaires européennes. Tout jeune enfant, « j’ai connu les dégâts de la guerre dans les collines des Vosges, je me souviens d’une rafle de la Wehrmacht guidée par la Gestapo dans la ferme où j’étais élevé. Ces choses là ont fait que je suis viscéralement européen : ce fut d’abord un choix de peur avant d’être un choix élaboré » rapporte-t-il.
Référendum « émotionnel » et « tyrannie médiatique de l’instantané »
Mais alors quid de l’Europe après le choc du Brexit ? Si le projet européen essaie de tendre vers l’union depuis son origine, « la Grande-Bretagne, que l’on appelle Royaume-Uni, demeure plus divisée que jamais, encore plus que lors de la guerre d’Ulster : les aisés contre les pauvres, Londres contre l’Ecosse, c’est un désastre absolu » observe, désolé, Jean-Marie Cavada, avant de dénoncer à travers quelques tacles, non pas le résultat de ce référendum mais la méthode employée qui manquait de pédagogie et qui a fait la part belle aux démagogies et aux mensonges : « j’ai vu Nigel Farage qui se régalait de sa farce énorme. C’est un menteur ! Idem pour Boris Johnson, c’est un clown pas gai du tout qui a menti comme un arracheur de dent. Quant à David Cameron, il a fait une très mauvaise campagne en osant régler un problème de compétition intérieure via ce Brexit ».
Preuve, à ses yeux, d’un besoin d’information et de pédagogie, les mots les plus tapés sur les moteurs de recherche le lendemain du vote étaient Brexit et Union européenne. Cet épisode soulève un problème de méthode, selon Jean-Marie Cavada, et cela pour deux raisons : primo, le référendum n’a pas de tradition en Grande-Bretagne, qui est une démocratie parlementaire. Secondo, ce référendum sur l’Europe était dangereux car « la question semble moins importante que la personne qui la pose, c’est avant tout une question de confiance », en l’occurrence envers le chef du Gouvernement britannique. Plus généralement, le référendum est « passionnel » et « l’émotion du peuple n’est pas toujours bonne conseillère ». Il faut avoir « le courage de conduire le peuple, avec d’ailleurs, un compte-rendu du mandat pour redonner de la vitalité à la démocratie représentative » martèle-t-il, avant de regretter que les dirigeants « vivent sous la tyrannie médiatique de l’instantané ».
« En même temps, ne fallait-il pas crever cet abcès ? » interroge Olivier Poivre d’Arvor, juste avant de citer Churchill qui disait à propos de la Grande-Bretagne : ‘nous entrons dans l’Europe mais nous ne sommes pas européens’. Et en fait, à terme, « ce coup de Trafalgar n’est-il pas salutaire in fine ? »
Partisan d’une Europe à deux vitesses
« Je souhaitais qu’ils sortent car il fallait s’enlever une épine du pied, malgré la secousse, et voir si on avait une ambition de projet européen » : celui qui est élu au Parlement européen depuis 2004 s’est déclaré partisan du Brexit, notamment car « l’Union européenne n’a plus besoin, pour consolider son action, des mêmes poteaux que lors de sa fondation. Le vrai fondement n’est plus le règlement des conflits, il y a une deuxième mission : l’Europe doit s’organiser en puissance politique pour mieux compter dans le monde et mieux nous représenter. L’Europe est une nécessité d’organisation politique pour développer l’emploi. Et oui, je suis partisan d’une Europe à deux vitesses ». Ce qu’on pourrait appeler les spécificités ou les particularismes britanniques ont aussi renforcé Jean-Marie Cavada dans sa position, lui qui dénonce « les dérogations stupéfiantes accordées au Royaume-Uni qui ne souscrivait aux obligations européennes que si elles étaient immédiatement bénéfiques ». Les britanniques ont selon lui « obtenu des européens des concessions pour garder le pays dans l’UE : ils n’étaient pas dans l’Euro, pas dans Schengen et ni dans la charte des droits fondamentaux, ce qui est incompréhensible ».
Le Brexit serait-il donc ce moment de crise permettant de relancer l’Europe ? Oui, mais à la condition sine qua non d’avoir un gouvernement européen sur les sujets régaliens, car sinon « l’Europe mourra » : pour celui qui est aussi président du Mouvement Européen France, cela s’avère nécessaire « sur la sécurité intérieure, sur un parquet judiciaire européen, sur une convergence économique avec une harmonisation fiscale et un serpent fiscal, par bons successifs pour ne pas déséquilibrer les Etats ». Pas d’optimisme outrancier donc, mais pas question non plus de plonger dans un pessimisme de rigueur en croyant à un Brexit à effet domino : « les Pays-Bas ne laisseront pas faire un référendum pour ne pas laisser la porte ouverte aux nationalistes. Je n’y crois pas non plus pour l’Europe centrale, surtout eu égard aux subventions qu’ils reçoivent » précise-t-il.
Une soif de participation citoyenne
Comment alors changer les choses, comment mobiliser, et avec qui ? Si Jean-Marie Cavada est élu au Parlement européen, c’est bien dans l’hexagone qu’il a crée le mouvement Génération Citoyens avec pour but « de rassembler des mouvements et de faire de la pédagogie, en particulier envers les abstentionnistes, car il y a un certain scepticisme sur les candidats à la Présidentielle, en leur capacité à satisfaire les Français dans cette démocratie nouvelle où les populismes gagnent de plus en plus de voix ». Génération Citoyens s’inspire d’une tendance perceptible ces cinq dernières années, dit-il. En Grèce est apparu un mouvement qui est arrivé au pouvoir : « Syriza a véritablement balayé les partis classiques et corrompus. Les gens ne supportent plus cela car ils ont accès à l’information sur la corruption. On a eu Podemos en Espagne, ainsi qu’un mouvement de centre-droit Ciudadanos (« nous, citoyens »); d’ailleurs aucun parti n’a la majorité pour prendre le pouvoir ». Génération Citoyens « va lancer un appel aux Français pour savoir quelle personne venant de la société non politique semble avoir la probité et le poids nécessaire. On a déjà sur la liste Irène Frachon ou Nicolas Hulot, on cherche une tête de pont pour rééquilibrer ce système politique » lance-t-il.
« Il faut que la France respire de nouveau »
Jean-Marie Cavada s’est expliqué sur la kyrielle de préconisations qu’il avance pour une France, « en très mauvais état » où « la gauche et la droite au pouvoir depuis ces vingt dernières années ont eu des affaires terribles, et même le centre ». Des affaires (judiciaires) qui n’arrangent évidemment rien dans un pays où « le premier parti pour la plupart des élections, mis à part la présidentielle, ce sont les abstentionnistes, puis les extrémistes ». Le président de Génération Citoyens rappelle « qu’il ne faut pas oublier que l’extrême gauche et l’extrême droite ont des points de convergence, notamment sur le souverainisme, et que les autres partis, in fine, apparaissent en troisième position ». Des préconisations d’ordre politique sont proposées par Jean-Marie Cavada car « les institutions s’épuisent et les gens veulent participer à l’action publique, sans forcément entrer dans les détails car la politique reste un métier ». Toujours sur le plan institutionnel, il propose aussi de « changer le fonctionnement des institutions » : le Président de la République devrait aller, selon lui « devant l’Assemblée nationale pour négocier et discuter. Il faut également changer l’organisation des pouvoirs publics pour permettre aux régions d’être des pôles économiques de poids. Si ces régions prennent du poids économique, elles prendront ainsi du poids politique » ajoute-t-il.
Sur le plan économique, un leitmotiv est avancé : « enlever la chape de plomb qui pèse sur l’économie », avec deux axes principaux :
-Aller vers une régulation fiscale sur la moyenne européenne
-Changer le système de relations sociales avec une syndicalisation qui doit être obligatoire
« Le regard civique aplati »
En guise de conclusion à cette rencontre, Jean-Marie Cavada a évoqué un thème au carrefour du Brexit et de l’engagement citoyen : les médias. Les médias comme loupe grossissante de la société. L’ancien directeur de Radio France rappelait que la BBC a pris position pour le Brexit et que, plus globalement, les médias britanniques ont été très partiaux et anti-européens. De l’autre coté de la Manche, il est aussi revenu sur la privatisation de TF1 en 1987 qui a « déséquilibré le reste » du paysage, l’audiovisuel public « essayant de se remettre du choc pour suivre le privé ». Autre phénomène médiatique marquant, l’arrivée des chaînes d’information en continu, « qui sont des chaînes privées toutes déficitaires sans véritable journalisme ». Cela a été problématique selon lui, il aurait souhaité que ce soit l’audiovisuel public qui prenne le leadership en ce domaine. Des chaînes d’information qui ont « amené davantage de communication que d’information, où tout est égal à tout : cela aplatit le regard des gens, leur regard civique. Elles sont aussi responsables de la détérioration civique du pays », pense-t-il.
Quoi qu’il en soit, Jean-Marie Cavada encourage les citoyens à prendre activement le relais de la participation, car ils sont pour lui « plus importants aujourd’hui dans un système jacobin qui s’est usé », où « les violents sont à la porte ». Un appel lancé aux citoyens, qui doivent être « fiers de se mêler de la chose politique » car la politique « ça vous regarde au premier chef », lance-t-il à son auditoire.
Bruno Cammalleri
(juillet 2016)
► Les rencontres de la Fondation EDF