L’enfant mort: après l’émotion, le réveil des consciences

L’émotion ne fait évidemment pas une politique, ni l’instant de « saisissement » citoyen une action forte et durable à l’échelle de l’Union Européenne et de 28 Etats. Néanmoins…

La question a été posée en terme très crue, par cette scène de mort qu’a porté la photo -ci-dessous) ayant le plus circulé dans le monde Twitter ce jour là (3/09/15) : le corps inerte du petit enfant kurde, retrouvé mort sur une plage turque, a-t-il réveillé durablement les consciences européennes, françaises en particulier, qui semblaient comme anesthésiées par les effets mortifères des vagues national-populistes à relents xénophobes qui ont déferlé sur notre Continent, en France en particulier ? Cette « Une » de Paris-Match a participé d’un sursaut de conscience, et de débat, en France, à propos des réfugiés.

Sans verser dans l’angélisme, qui est parfois l’allié objectif des pires cynismes nationalistes toujours prompts (comme en Hongrie) à dresser des barricades aussi scandaleuses que stupides, un débat et surtout une action publique dignes et précises  vont-ils enfin, après le choc de cette image insupportable, permettre aux autorités européennes de sensibilités diverses voire opposées de prendre les mesures concertées, qui s’imposent à l’évidence depuis de longs mois ? Pas totalement sûr…

-Pour accueillir les réfugiés, ces boats people qui fuient en masse le djihadisme proche-oriental qui s’étend, qui fuient la guerre et la terreur que ce fanatisme aveugle sème partout où il prend racine.

-Pour établir des règles adaptées en ces circonstances historiques, applicables à la fois à l’échelle de l’Union européenne dans un esprit de solidarité entre les Etats-membres, tous concernés, et au niveau de chaque Nation.

Angela Merkel, visionnaire et grande politique 

Les Unes avec l'enfant kurde mort, échoué sur une plage turc - 030915 - le choc d'une photo, qui révélera le décalage de certains politiques. L'opinion est un corps vivant, qui évolue aussi au gré des engagements, des événements, et des images.

-Pour mieux réguler aussi le flux des migrations « ordinaires » qui, au-delà de la question clé de l’Asile, doivent à l’évidence progresser aussi, très rapidement, à l’échelle européenne autant que nationale, en réalisant l’équilibre en humanité et fermeté: car en dehors des cas de détresse extrême, il est clair aussi que l’Europe ne pourra pas, pas plus demain qu’hier, accueillir toute la misère du monde. Formule devenue de banalité politique, qui oublie souvent d’évoquer la séquence finale de la phrase, qui ajoutait : « mais doit en accueillir une partie… »

Avant même la photo de l’émotion, une femme d’Etat, Angela Merkel, avait lancé le signal d’alarme qui s’imposait en Europe: attention, les valeurs de l’Union Européenne sont en jeu ! Attention, la cohérence et le socle commun de la civilisation européenne sont en jeu ! Elle était un peu seule, hier, à le clamer. La Chancelière allemande, à la fois visionnaire et bonne politique (ce n’est pas contradictoire…) n’est plus du tout seule aujourd’hui: les citoyens européens, hors des clivages des frontières, géographiques et politiques, sentent bien qu’il en va de l’avenir de l’Europe, d’agir vite et solidairement (une étude « Eurobaromètre » du printemps dernier mesurait cette attente d’Europe sur le sujet). Sachant que, dans le mot solidarité, la racine « solide » a beaucoup d’importance.

Le chef de l’Etat français, François Hollande, a finalement mieux pris la dimension du problème, non seulement en annonçant des mesures d’accueil en France, mais en soulignant, lors de sa conférence de presse du 7/09, son souhait conjoint avec la Chancelière allemande, que l’Europe progresse rapidement en trois domaines : « la solidarité, la responsabilité et l’organisation », a-t-il relevé, en précisant les contours d’un « dispositif obligatoire » d’accueil partagé (entre Etats-membres de l’Union) des réfugiés et migrants, et en annonçant de nouvelles mesures en France (cf lien ci-dessous). Mais le Premier Ministre, à l’Assemblée Nationale ensuite, n’a pas voulu reprendre le mot de « quota », ni même l’idée d’un accueil partagé et organisé par l’Union européenne. Le chef de l’Etat relevait pour sa part au passage que « l’organisation » améliorée  en Europe passe « aussi par des gardes frontières »… Comme Manuel Valls auparavant, François Hollande tient aussi à affirmer des principes de « fermeté » quant aux règles applicables, hors des réfugiés, aux migrants clandestins qui quittent leur pays pour de « simples » raisons économiques.

Quant à Nicolas Sarkozy, Président des Républicains, il a pris tout le monde à contre-pied, loin de rejoindre les positions de la leader du « parti frère » allemand, Angela Merkel. L’ancien chef de l’Etat a préféré, dans Le Figaro du 10/09, chasser sur les thèmes, les mots, et même certaines propositions du Front national. Parlant d’immigration porteuse de « risques de désintégration de la société française ». Evoquant une révision du droit du sol, une exclusion des migrants réguliers du champ des allocations sociales (familiales et logement) pendant les 5 premières années de leur résidence en France. Et avançant la proposition de distinguer les réfugiés qui fuient les guerres, des réfugiés qui fuient les persécutions. Alors qu’en l’espèce la guerre et les persécutions djihadistes sont entremêlées, provoquant la même tragédie pour les personnes concernées.

Jean-Philippe Moinet,

fondateur et directeur de la Revue Civique 

infos@revuecivique.eu

(03/09/15; complété le 07/09 et le 21/09. Cet article avait été publié, le même jour, 03/09, sur Huffington Post )

En images, cette actualité de l’enfant syrien mort en sujet BFM-TV

Quand (dès le 26 août) Angela Merkel prend  le parti des réfugiés

Quand François Hollande s’engage davantage pour les réfugiés (07/09/15)

le HCR rappelle que l’Europe n’est pas la 1ère destination des réfugiés

La tribune de JP Moinet dans L’Express, sur la « stratégie buissonienne » de N Sarkozy

L’édito de JP Moinet (de juin 2015) : l’inertie européenne qui facilite les démagogies xénophobes

Réfugiés, des boats people près de nos côtes, dans une indifférence assez générale ? Les positions évoluent aussi, quand les politiques font de la pédagogie, quand les médias sont présents pour témoigner des drames humains

Une situation de crise, qui met à l’épreuve la solidarité européenne, le socle de valeurs de l’Union européenne, en  facilitant aussi toutes les récupérations démagogiques… Une photo choc aura-t-elle un impact suffisant pour réveiller durablement des consciences un peu (beaucoup) endormies, en particulier en France (où l’afflux des réfugiés et migrants est pourtant bien moins important qu’en Allemagne)  ?