Moissac ou la mémoire oubliée des « Justes »

Les membres de la Maison des éclaireurs israélites de France, en 1942

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Moissac, une petite ville du Sud Ouest de la France a abrité une maison d’enfants juifs. 500 enfants venus de tous les coins d’Europe y ont été recueillis. Tous ont échappé à la barbarie nazie.

Étonnamment, ce qui s’est passé à Moissac est largement resté hors des livres d’histoire, hors aussi de la mémoire collective. Et pourtant, pour que le pire n’advienne pas ici, il aura fallu que la force et le courage de Shatta et Bouli Simon, ce couple d’éclaireurs israélites dirigeants de la maison soient relayés par le soutien et le silence de toute la ville.

Ces  27 et 28 avril 2013, deux journées de rencontres et de débats visent à comprendre, faire connaître et reconnaître le rôle majeur de cette ville de Moissac pendant cette période. Jean-Claude Simon et Annie-Claude Elkaïm, interviewée par la Revue Civique, sont les organisateurs de l’événement, placé sous l’égide du président de la République, avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, la ville de Moissac et le Crédit Mutuel. 

Jean-Claude Simon est le fils aîné de Shatta et Bouli Simon. Né juste avant la guerre, il a vécu dans « la maison d’enfants » de Moissac et au Moulin. Après ses études de médecine, Jean-Claude Simon a mené sa carrière de cardiologue à Paris.
Annie-Claude Elkaïm est journaliste et réalisatrice. Elle a notamment présenté, entre 2003 et 2012, les soirées « Thema » de la chaîne ARTE. Elle est l’auteur de nombreux documentaires. Moissagaise d’adoption, elle travaille à faire connaître cette période de l’histoire de la ville. Ensemble, ils ont créé l’association « Moissac, ville de Justes oubliée »

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La REVUE CIVIQUE : comment est né ce « retour sur histoire » de Moissac, histoire que vous contribuez à reconstituer mais qui est restée, longtemps, occultée ?Annie-Claude-ELKAÏM
Annie-Claude ELKAÏM
 : Occultée je ne sais pas, mais disons, et c’est une des raisons pour lesquelles nous organisons ces rencontres,  que l’importance de ce qui s’est passé ici est restée non seulement hors des livres d’histoire mais aussi hors de la mémoire collective.  L’histoire, disait François Hollande en inaugurant le mémorial de Drancy, « met parfois du temps à trouver sa place ». Il en est ainsi de Moissac.

Véritable mythe dans la petite mais internationale communauté des enfants cachés,  cette ville héroïque n’a pas, pour l’instant, reçu la reconnaissance qu’elle devrait. C’est précisément pour cela, pour que la participation majeure des habitants de Moissac dans le sauvetage des enfants juifs en France soit reconnue, qu’avec Jean-Claude Simon, le fils de Shatta et Bouli, nous organisons ces journées. Car ici, pour que près de 500 enfants, échappent aux nazis, il aura fallu non seulement  la force et le courage de Shatta et Bouli Simon, qui dirigeaient alors la « Maison avec les éclaireurs israélites de France », mais il aura fallu aussi le soutien de toute la ville. Rendez-vous compte qu’il aurait suffit qu’une seule personne parle pour que la vie de ces enfants basculent dans l’horreur que l’on sait. Et parce que les moissagais se sont tus, parce qu’ils les ont aidés et soutenus, le pire ici n’est pas advenu.

Les « Justes » en France ont eu un rôle important, pas toujours connu, ni reconnu. Pourquoi ?
En France, plus de 3500 personnes ont été reconnues « Justes parmi les Nations ». Un chiffre qui, presque mathématiquement n’évoluera guère, puisque vous savez que pour qu’un Juste soit reconnu en tant que tel, il faut qu’un juif ait été témoin de son action… le temps passant, les témoins malheureusement disparaissent. Mais les Justes, reconnus comme tel ou pas d’ailleurs, ont été c’est vrai en France très nombreux. Il ne faut pas oublier qui si un tiers des juifs en France ont été victimes des nazis, si bien relayé par l’antisémitisme d’Etat, deux tiers d’entre eux ont été sauvés par les Français.  Alors le travail des Justes est il trop méconnu ? Certainement. En tout cas, il n’est pas enseigné comme il le devrait.

Quelles leçons retirez-vous de vos recherches sur Moissac, et qu’attendez-vous des rencontres que vous organisez sur-place, avec vos partenaires, sous l’égide du Président de la République ?
La première leçon, mais c’est un peu une « Lapalissade » : c’est qu’une histoire qui n’est pas racontée disparaît ! Alors, c’est vrai, l’histoire des enfants de Moissac a été racontée dans un très beau livre (1) de Catherine Lewertowski, il y a quelques années, puisqu’elle a recueilli le témoignage précieux de Shatta Simon, avant sa mort, et expliqué comment le travail des éclaireurs israélites a soutenu cette maison et ses enfants. Mais le rôle majeur des habitants de la ville dans ce sauvetage n’a pas, lui, été étudié et raconté comme il se doit. Par ailleurs, la ville elle même n’a probablement pas pris suffisamment en main sa propre histoire. Ce colloque, ces rencontres, l’inauguration d’une esplanade des Justes dans la ville par le Yad Vashem, tout cela contribuera, nous l’espérons, à remettre Moissac à la bonne place dans l’histoire du sauvetage des enfants juifs en France. Et pourquoi pas, recevoir par le Yad Vashem ce diplôme d’honneur collectif que seule, en France, la ville du Chambon a reçu.

(Propos recueillis en avril 2013)

► Pour en savoir plus, leur site internet

(1) « Les enfants de Moissac. 30-45 », de Catherine Lewertowski (Ed Flammarion).

Les membres de la Maison des éclaireurs israélites de France, en 1942

Les membres de la Maison des éclaireurs israélites de France, en 1942. Les enfants juifs furent près de 500 à être sauvés, à Moissac pendant la guerre, aussi par la mobilisation d’anonymes « Justes parmi les Nations »

« Juste parmi les Nations »

Le terme de « Juste parmi les Nations » est issu de la tradition religieuse, où il désigne, à l’origine, les « non-Juifs craignant Dieu ». Durant la période médiévale, la signification a évolué pour désigner les non-Juifs faisant preuve de bonté envers les Juifs.
En 1953, l’État d’Israël reprend ce terme dans une loi pour définir l’une des missions du Mémorial créé pour les victimes de la Shoah. Yad Vashem doit ainsi prolonger le souvenir et honorer les « Justes parmi les Nations qui ont risqué leur vie pour venir en aide à des Juifs ». En 1963, une commission a été créée pour rechercher et traiter les dossiers des potentiels « Justes parmi les Nations ». Chaque Juste se voit remettre, au cours d’une cérémonie, une médaille gravée à son nom, un diplôme d’honneur, et son nom se retrouve gravé sur le mur d’honneur du Jardin des « Justes parmi les Nations » de Yad Vashem, à Jérusalem.

Source : La création du titre de « Juste parmi les Nations » 1953-1963, Sarah Gensburger, 2004. Consultable ici